[0001] La présente invention concerne un procédé de rouissage biochimique des plantes fibreuses
libériennes telles que le chanvre, le lin, la ramie, le jute et le kenaf.
[0002] L'invention concerne en particulier un procédé biochimique dont l'application a pour
but de permettre l'utilisation, par l'industrie textile ou para-textile ou la corderie,
de plantes fibreuses libériennes, cellulosiques et assimilées, n'ayant pas subi le
rouissage naturel qui rend possible la séparation des fibres dans le faisceau.
[0003] Dans l'art antérieur, les plantes fibreuses libériennes, après leur récolte, sont
soumises au rouissage naturel, soit sur terre par exposition aux intempéries, soit
dans l'eau en vue du développement naturel de microorganismes dont l'effet est la
désagrégation et la "digestion" des céments naturels qui lient les fibres au sein
du faisceau dans les plantes fibreuses libériennes. Cette technique, directement liée
aux conditions atmosphériques et hydrographiques, nécessite une durée d'action de
l'ordre de 2 à 5 semaines et l'intervention d'une main-d'oeuvre et d'un matériel important.
[0004] Le chanvre fait partie des plantes à fibres, dites libériennes, dans lesquelles les
fibres cellulosiques se trouvent soudées en faisceaux dans le liber entourant la tige
de la plante.
[0005] Le lin, la ramie, le jute et le kénaf sont les principales autres plantes à fibres
faisant partie de cette famille de plantes libériennes.
[0006] Pour être utilisables dans l'industrie textile, les fibres cellulosiques de ces plantes
doivent être séparées du liber, puis d'entre elles dans les faisceaux. Cette séparation
est rendue possible par le rouissage naturel. Elle est réalisée mécaniquement ensuite
à l'aide de matériel textile spécialement adapté.
[0007] Le rouissage naturel, opération connue et pratiquée depuis des siècles, consiste
à immerger les tiges dans l'eau de certains cours d'eau pour des durées relativement
longues, immersion qui a pour effet le développement naturel de bactéries, anaérobies
qui génèrent des micro-organismes capables de dégrader les macromolécules végétales
qui soudent les faisceaux entre eux dans le liber et les fibres entre elles dans les
faisceaux.
[0008] Ce rouissage, dit à l'eau, tout en étant encore pratiqué sur une petite échelle,
est de plus en plus remplacé par le rouissage -dit terre- qui consiste à laisser sur
terre, après fauchage ou arrachage, les tiges des plantes libériennes afin de provoquer
l'action bactérienne développée par la microflore du sol grâce à l'alternance de périodes
de pluies et de chaleur humide.
[0009] Pendant toute la durée de cette exposition (plusieurs semaines) des tiges aux intempéries,
il est bien entendu indispensable de retourner les andains pour que l'ensemble des
tiges subisse une action aussi régulière que possible.
[0010] Cette opération, relativement aisée dans le cas du lin dont les tiges mesurent environ
80 cm à 1 mètre, est très difficilement réalisable pour le chanvre dont les tiges
atteignent 2,50 m à 3 m de long.
[0011] Par ailleurs, la récolte du chanvre étant plus tardive que celle du lin : fin août
- mi-septembre, les conditions climatiques régissant le rouissage "terre", deviennent
de plus en plus aléatoires, du fait de la diminution de l'ensoleillement et de l'augmentation
des précipitations.
[0012] Pour ces raisons et par suite de l'abandon du rouissage à l'eau, les chanvriers furent
amenés à abandonner l'exploitation du chanvre à destination textile pour ne conserver
que la filière papetière.
[0013] Ainsi les demandeurs, à la recherche de nouveaux débouchés pour l'exploitation du
chanvre et plantes libériennes analogues, ont recherché la possibilité de rouir artificiellement
ces plantes.
[0014] Les demandeurs ont ainsi cherché à séparer les fibres des faisceaux par dégradation
des céments les reliant.
[0015] Toutes les approches purement chimiques se sont avérées négatives du fait que la
dégradation des céments par ces moyens s'accompagnait toujours d'une altération importante
des fibres de cellulose.
[0016] Le but de l'invention est donc de fournir un procédé industriel de rouissage de plantes
fibreuses libériennes pour résoudre les problèmes de fiabilité et de reproductibilité
que posent les processus naturels de rouissage dûs aux aléas météorologiques.
[0017] Suivant l'invention, le procédé de rouissage biochimique des plantes fibreuses libériennes,
en particulier le chanvre, afin d'obtenir la dégradation de céments agrégeant les
fibres dans les faisceaux et de permettre ainsi leur séparation physique pour leur
utilisation en filature ou corderie en vue de la fabrication de filés ou mèches utilisables
dans l'industrie textile ou paratextile, ou la corderie, est caractérisé en ce qu'on
traite les plantes fibreuses au moyen d'au moins une enzyme SPS-ase.
[0018] Le procédé objet de l'invention est basé sur l'utilisation principale de cette enzyme
SPS-ase qui permet de rompre les chaînes macromoléculaires des céments qui relient
entre elles les fibres cellulosiques dans les plantes fibreuses libériennes telles
que le chanvre, le lin, la ramie, le jute, le kenaf, etc. tout en ne touchant pas,
ou le moins possible, à la cellulose constituant les fibres intéressantes pour l'industrie
textile ou paratextile.
[0019] L'enzyme SPS-ase utilisée à cet effet est spécifique des constituants non cellulosiques
des fibres, et qui soudent entre elles les fibres à l'intérieur du faisceau de fibres.
[0020] Dans la suite de la présente description, les constituants non cellulosiques des
fibres seront désignés "cements".
[0021] La nature chimique de ces céments n'est pas encore réellement connue.
[0022] L'enzyme SPS-ase utilisée dans le procédé selon l'invention est une enzyme polyactive
à large spectre agissant sur les polysaccharides. Cette enzyme SPS-ase a été décrite
dans le brevet britannique 2 115 820. Elle est commercialisée par la société danoise
NOVO INDUSTRI A/S sous la référence SP 249. Cette enzyme possède les quatre activités
principales suivantes :
- une activité pectolytique
- une activité cellulolitique
- une activité hémicellulolitique
- une activité protéolytique.
[0023] L'activité pectolytique de cette enzyme semblerait d'après les recherches effectuées
par les demandeurs, se situer plus au niveau de la réduction de viscosité des pectines,
parties hydrosolubles des matières pectiques constituées essentiellement d'acide polygalacturonique
comportant diverses quantités de groupements esters méthyliques ou au niveau de la
dépolymérisation des protopectines hydrosolubles à haut degré d'estérification.
[0024] L'activité cellulolitique est observée surtout au niveau des carboxy-méthyl-celluloses
naturelles des végétaux. Cette activité est intéressante dans le rouissage du chanvre
par suite de la dégradation des C.M.C. qui constituent une "colle" très résistante
et à haut pouvoir adhésif.
[0025] Cette activité cellulolitique est complétée par une activité fongique gluconique
et surtout par une infime activité cellubiase, qui permet d'éviter une dégradation
des fibres de cellulose, seules intéressantes et but de toute l'opération.
[0026] L'activité hémicellulolitique dont le but est la dégradation des hémicelluloses,
xylanes, ainsi que des polyoses tels que arabinase et α galactoses.
[0027] Cette polysaccharidase à large spectre possède aussi une activité protéolytique sur
les protéines végétales.
[0028] Les demandeurs ont constaté que l'action de la SPS-ase était renforcée lorsque le
traitement était effectué au moyen d'un mélange de cette enzyme avec la béta-glucanase
et/ou la pectinase.
[0029] La β-glucanase agit par hydrolyse des β glucanes au niveau des liaisons β 1-3 et
β 1-4 en oligosaccharides et dissaccharides solubles.
[0030] Cette hydrolyse s'accompagne aussi d'une réduction notoire de la viscosité des bains.
[0031] La pectinase possède une activité double sur les matières pectiques, à savoir :
- une activité non dépolymérisante,
- une activité dépolymérisante.
[0032] Grâce à l'activité non-dépolymérisante de cette enzyme, il n'y a pas de réduction
de la longueur des chaînes de pectines mais diminution de leur degré d'estérification
par ouverture du pont ester entre les groupes carboxyles de l'acide galacturonique
unitaire et les groupements méthanol.
[0033] Cette réduction du degré d'estérification se traduit par une diminution de la viscosité
et une élimination plus facile des pectines hydrosolubles lors du rouissage.
[0034] Les trois types d'enzymes ci-dessus présentent ainsi des activités complémentaires
et en plus la particularité importante de posséder des conditions d'application compatibles
avec le traitement des fibres libériennes, à savoir une zone de pH optimale située
entre pH 4 et pH 6 et une plage de température optimale comprise entre 40 et 60°C.
[0035] Le traitement des plantes libériennes est effectué par imprégnation et ensuite macération
des pailles ou étoupes dans un milieu aqueux renfermant la ou les enzymes ci-dessus.
[0036] La durée de macération doit être comprise entre une heure et quarante huit heures,
de préférence entre trois et trente six heures.
[0037] Par ailleurs, la température de macération doit être comprise entre 20°C et 70°C,
de préférence entre 40°C et 60°C et cette macération est effectuée à pH compris entre
3 et 7, de préférence entre 4 et 6, ce pH étant ajusté à l'aide d'un acide organique.
[0038] Les demandeurs ont déterminé l'application des enzymes de manière empirique, en définissant
au fur et à mesure de l'avancement de leur étude la qualité du rouissage obtenu par
l'aptitude au cardage des étoupes de chanvre traitées selon l'invention.
[0039] Ces essais de cardage ont été systématiquement menés sur une carde de laboratoire
sur les poignées d'étoupes traitées selon l'invention.
[0040] Une première série d'essais a consisté à determiner, sur des étoupes papetières,
l'action de la polysaccharidase à large spectre (SPS-ase) en soumettant à l'action
d'un bain d'enzyme d'une concentration définie des quantités d'étoupes identiques
et ce dans le but de définir la durée optimale de l'action enzymatique.
[0041] A cet effet, il a été réalisé des macérations enzymatiques d'heure en heure de 1
à 12 heures puis à 18 h -24 h-30 -36 - 48 - 60 - 72 - 84 et 96 heures.
[0042] Ainsi, par comparaison de la séparation des faisceaux au cardage, il a été défini
une période optimale comprise entre 18 et 30 heures. En deça des 12 heures, il a été
observé une mauvaise séparation des faisceaux avec rupture des faisceaux au cardage.
[0043] Au-delà des 36 heures, il a été observé une bonne séparation des faisceaux mais de
nombreuses ruptures de fibres.
[0044] Des essais systématiques sur des échantillons de chanvre différents les uns des autres
par leur coloration, chanvre blond-vert ou chanvre brun foncé, ont été effectués.
Dans tous les cas, les meilleurs résultats au test de cardage ont été trouvés avec
une durée de 22 à 26 heures.
[0045] Dans tous les cas, quel que soit le type de chanvre, il a été trouvé une très bonne
séparation des faisceaux et des fibres au terme de cette période.
[0046] Il est couramment admis que l'action d'une enzyme est proportionnelle à sa concentration.
D'autre part, il est souvent affirmé que la rapidité de l'action enzymatique est directement
liée à la concentration des enzymes.
[0047] Pour déterminer la concentration optimale, les demandeurs ont soumis pendant des
durées de 8 à 12 heures, puis 18 - 24 et 30 heures des échantillons de chanvre à des
bains d'enzyme SPS-ase de concentration croissante et à pH et température constante.
[0048] En utilisant le test de cardage comme élément d'appréciation du rouissage enzymatique,
il a été constaté qu'à haute concentration de l'enzyme, les macérations inférieures
à 18 heures étaient moins efficaces que les macérations de 20 à 30 heures pour des
concentrations plus faibles.
[0049] L'efficacité des deux autres enzymes, à savoir la β glucanase et la pectinase, a
été déterminée dans les mêmes conditions que la polysaccharidase SPS-ase.
[0050] Les résultats obtenus en ce qui concerne la séparation des faisceaux et des fibres
ont été moins probants qu'avec la polysaccharidase (SPS-ase), mais il a été constaté
une action plus importante de la β glucanase sur la dégradation des anas qui deviennent
plus cassants et plus friables ainsi qu'une très nette amélioration du détachement
des lanières ou faisceaux de fibres des anas et des morceaux de tiges.
[0051] En ce qui concerne la pectinase, il est apparu une action plus spécifique au niveau
de la "cuticule" colorée entourant les faisceaux de fibres, ainsi qu'au niveau du
soyeux et de la douceur des fibres, sans doute par suite de la dégradation et de la
solubilisation de cette cuticule.
[0052] En vue de rechercher la plus grande efficacité pour le rouissage enzymatique, les
demandeurs ont repris leurs essais systématiques à l'aide de mélanges des trois enzymes
ci-dessus jusqu' à l'obtention par cardage d'un ruban présentant des fibres longues,
bien séparées -sans aller toutefois à la séparation unitaire- soyeuses et comportant
le moins d'anas ou déchets d'anas.
[0053] Les essais ont ainsi permis de déterminer que les quantités d'enzymes mises en oeuvre
par rapport au poids sec de pailles ou d'étoupes de plantes fibreuses libériennes
doivent être les suivantes :
a) pour la pectinase comprises entre 0,01% et 2% et de préférence entre 0,05% et 1%,
b) pour la béta-glucanase comprises entre 0,10% et 3% et de préférence entre 0,25%
et 2%,
c) pour l'enzyme à spectre d'action plus large, entre 0,25% et 5%, et de préférence
entre 0,5% et 3%.
[0054] Les trois enzymes dégradant les polymères par suite de leur activité propre à la
scission de liaisons bien définies, sembleraient aussi améliorer la solubilisation
et la diminution de la viscosité des produits de dégradation aboutissant ainsi à leur
meilleure élimination par rinçage en fin de macération. En effet, les étoupes traitées
par le mélange ternaire ont nettement moins tendance à "recoller" entre elles lors
du séchage faisant suite à un rinçage succinct que les étoupes traitées avec la seule
polysaccharidase.
[0055] Les demandeurs ont toujours obtenu lors de leurs essais des fibres de chanvre résistantes
et de bonne ténacité. Cela est dû sans doute au fait que les trois enzymes retenues
n'ont pas, ou pratiquement pas, d'action sur la cellulose mais aussi au fait que toutes
les réactions de dégradation aboutissent à la formation de sucres réducteurs. Il n'y
a donc pratiquement pas de risque de formation d'hydrocellulose, et donc diminution
du D.P. de la cellulose par oxydation acide.
[0056] Il va de soi que de nombreuses modifications peuvent être apportées à la mise en
oeuvre du procédé décrit sans sortir pour autant du cadre de l'invention.
1. Procédé de rouissage biochimique de plantes fibreuses libériennes, en particulier
le chanvre, afin d'obtenir la dégradation des céments agrégeant les fibres dans les
faisceaux et de permettre ainsi leur séparation physique pour leur utilisation en
filature ou corderie en vue de la fabrication de filés ou mèches utilisables dans
l'industrie textile ou paratextile, ou la corderie, caractérisé en ce qu'on traite
les plantes fibreuses au moyen d'au moins une enzyme SPS-ase.
2. Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce qu'on traite les plantes fibreuses
au moyen d'un mélange de SPS-ase et de β-glucanase.
3. Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce qu'on traite les plantes fibreuses
au moyen d'un mélange d'enzymes comprenant la SPS-ase, la β-glucanase et la pectinase.
4. Procédé selon l'une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce que le traitement
est effectué par imprégnation et ensuite macération des pailles ou étoupes dans un
milieu aqueux renfermant la ou les enzymes.
5. Procédé selon la revendication 4, caractérisé en ce que la durée de macération
est comprise entre une heure et quarante huit heures, de préférence entre trois et
trente six heures.
6. Procédé selon l'une des revendications 4 ou 5, caractérisé en ce que la température
de macération est comprise entre 20°C et 70°C, de préférence entre 40°C et 60°C.
7. Procédé selon la revendication 6, caractérisé en ce que la macération est effectuée
à pH compris entre 3 et 7, de préférence entre 4 et 6, ce pH étant ajusté à l'aide
d'un acide organique.
8. Procédé selon l'une des revendications 3 à 7, caractérisé en ce que les quantités
d'enzymes utilisées pour le traitement par rapport au poids sec de pailles ou d'étoupes
des plantes fibreuses sont comprises :
a) pour la pectinase, entre 0,01% et 2%, de préférence entre 0,05% et 1%,
b) pour la β-glucanase, entre 0,10% et 3%, de préférence entre 0,25% et 2%,
c) pour la SPS-ase, entre 0,25% et 5%, de préférence entre 0,5% et 3%.
9. Procédé selon l'une des revendications 1 à 8, caractérisé en ce qu'il est appliqué
au rouissage des plantes fibreuses libériennes choisies dans le groupe comprenant
le chanvre, le lin, la ramie, le jute, le kenaf et leurs mélanges.
10. Fibres de plantes libériennes obtenues par l'application du procédé conforme à
l'une des revendications 1 à 9.