[0001] La présente invention concerne le nettoyage de pièces métalliques sur lesquelles
s'est formé un dépôt nuisant aux caractéristiques de la pièce, contenant des oxydes
(notamment de l'oxyde de fer sous forme de magnétite), à la suite d'une exposition
à l'eau, en phase liquide et/ou vapeur à haute température. Elle concerne plus particulièrement
le nettoyage chimique de telles pièces qui ont été exposées à de l'eau à haute température
contenant des composés de fer et de silicium, ainsi que d'autres éléments tels que
Na, Ca, K, Al, Zn, Cu, As, Sb, Tl, Pb, C, S, Ni, Cr, Sn.
[0002] L'invention trouve une application particulièrement importante dans le lessivage
de celle des faces des tubes de générateur de vapeur des centrales nucléaires qui
est exposée au circuit secondaire, où circule de l'eau contenant des éléments chimiques
polluants de diverses origines, provenant par exemple de fuites au condenseur, des
résines échangeuses d'ions utilisées pour la déminéralisation, des produits de traitement
de l'eau, et de la corrosion d'éléments du circuit secondaire. Des dépôts se forment
aussi bien sur les parties droites des tubes d'échange et dans les interstices, notamment
entre les tubes et les entretoises réparties le long des tubes et destinées à les
maintenir les uns par rapport aux autres ainsi qu'entre les tubes et la plaque tubulaire.
[0003] L'invention est toutefois également applicable à toute pièce métallique sur laquelle
s'est formé un dépôt comparable à ceux qui interviennent dans de tels échangeurs de
vapeur.
[0004] On sait depuis longtemps que la formation d'une couche oxydée, généralement sous
forme de magnétite, à la surface des tubes d'échange, dégrade les performances de
l'échangeur et de plus favorise la corrosion inter-granulaire et l'apparition de fissures
sous contrainte. Il est en conséquence courant d'éliminer périodiquement la magnétite
par lessivage des tubes. On connaît divers modes agents de nettoyage, agissant généralement
par réduction, puis complexation de la magnétite. En particulier, on a utilisé un
procédé de nettoyage par réduction à l'aide de N₂H₄, puis complexation du Fe²⁺ en
un composé de Fe³⁺ à l'aide d'éthylène diamine tétraacétique. On ne décrira pas dans
la présente demande les divers procédés bien connus qui existent.
[0005] Les analyses effectuées sur des échantillons de tubes d'échangeur portant des dépôts
ont fait apparaître que la structure de ces dépôts était beaucoup plus complexe qu'on
ne l'imaginait. Elles ont en particulier montré que, si le dépôt est majoritairement
constitué de magnétite, il peut y avoir, localement, présence de silicates sur un
silicoaluminate alvéolaire ayant une structure de gel solide, susceptible de contenir
des produits carbonés dans la mesure où cet élément est présent dans le milieu. La
couche oxydée de passivation, classiquement élaborée lors de la phase finale de fabrication
des tubes d'échange, est détruite sous le silico-aluminate alvéolaire et il s'y substitue
une couche relativement épaisse non protectrice. L'analyse a montré que cette couche
présente une teneur élevée en chrome et en fer dans le cas habituel où les tubes d'échange
sont constitués en l'un des alliages nickel-chrome contenant également du fer et d'autres
éléments d'éddition désignés par la marque "INCONEL". Elle est susceptible d'exister
également, avec une moindre épaisseur, sous la magnétite dans les parties droites
des tubes.
[0006] La présente invention vise à fournir un procédé de nettoyage des dépôts susceptibles
d'intervenir dans ces conditions. Elle propose dans ce but un procédé de nettoyage
chimique de pièces en matériau métallique portant un dépôt comprenant des composés
à teneur élevée en silice et d'oxydes métalliques, notamment de magnétite, suivant
lequel on élimine les oxydes métalliques en surface par une complexation (pouvant
être précédée d'une réduction), puis on effectue une mise en solution des composés
siliceux par une réaction en milieu aqueux d'insertion avec des composés électrophiles,
ou des hétéropolyacides par exemple, ou une réaction de condensation, notamment avec
des alcools ou amines, destinée à affaiblir les liaisons, dans un milieu assurant
la complexation de Si(OH)₄.
[0007] Après lessivage des tubes pour les débarrasser de la magnétite et des composés siliceux,
on effectuera en général une opération de repassivation qui peut être effectuée par
oxydation superficielle avec séchage et déshydroxylation. On peut notamment utiliser
un séchage à une température vers 300°C pendant 24 à 48 heures, en atmosphère oxydante
sèche.
[0008] Des caractéristiques secondaires de l'invention sont données dans les sous-revendications.
[0009] Avant de décrire davantage des modes possibles d'exécution de l'invention, il peut
être utile de résumer le mode de formation le plus probable de composés siliceux dans
le dépôt.
[0010] La silice à l'état dissous dans une phase aqueuse, sous la forme Si(OH)₄, se fixe
sur le métal avec intervention des ions OH présents à la surface du métal M, qui ont
un effet catalytique. On peut schématiser les réactions sous la forme :

[0011] Finalement, il se forme un dépôt comportant des liaisons du type :

[0012] Dans le réseau du dépôt ainsi constitué peuvent s'insérer des espèces supplémentaires,
telles que AlO

, qui donnent un caractère ionique négatif au dépôt de surface. Ce caractère négatif
peut se compenser de façon automatique par l'absorption de cations présents dans la
phase aqueuse, tels que Ca²⁺, NH⁴, K⁺, ou de cations provenant de la corrosion de
la pièce métallique elle-même.
[0013] Une caractéristique qui rend les dépôts particulièrement difficiles à arracher est
que la liaison Si-O est l'une des liaisons du silicium les plus fortes qui soient,
puisqu'elle vient immédiatement après Si-F dans l'ordre des énergies décroissantes.
[0014] Le procédé de nettoyage d'un tube commence par l'élimination de la magnétite, par
l'un quelconque des procédés connus.
[0015] La seconde étape consiste en l'élimination des dépôts restants, contenant surtout
des composés siliceux, par traitement avec des composés chimiques favorisant la délocalisation
des électrons des liaisons Si-O-métal et leur affaiblissement.
[0016] Dans la pratique on peut agir :
- soit par insertion d'éléments provoquant un accroissement du nombre de coordination
de la silice, typiquement à l'aide de composés électrophiles,
- soit par condensation de groupements-OH sur la silice.
[0017] Il est avantageux d'utiliser un milieu favorisant la complexation de la silice et
évitant que Si(OH)₄ ne revienne vers l'état SiO₂ et ne se refixe sur le métal.
[0018] On détaillera maintenant ces deux modes de mise en solution.
Mise en solution aqueuse par insertion et accroissement du nombre de coordination
de la silice
[0019] Cette approche utilise le fait qu'on peut obtenir des composés solubles au sein du
réseau siliceux de la couche à détruire en y insérant :
- OH⁻ en milieu alcalin, pour former Si(OH)₄,
- F⁻ en milieu acide, pour former notamment SiF₆²⁻.
[0020] En principe, on pourrait utiliser divers acides et bases fortes. Mais la concentration
requise soulève un problème de corrosion de la plupart des supports métalliques à
nettoyer. C'est notamment le cas des tubes en "Inconel". En revanche sont utilisables
les systèmes insaturés ayant des propriétés électrophiles, parmi lesquels on peut
citer :
1°/ les systèmes insaturés conjugués tels que :
- les groupements phényle substitués, par exemple mono-, di-, triphényl,
- certains groupements à plusieurs noyaux benzéniques.
2°/ Les composés insaturés N-oxyde, tels que :
2.a) Hydroxypyridine :
2 polyvinylpyridine,
1 hydroxypyridine,
2 hydroxypyridine - 1 oxyde.
[0021] De façon générale, on peut utiliser les composés ou systèmes comportant des groupements
électrophiles tels que :
CO₂H-
C = N.
[0022] Ces composés seront utilisés en phase aqueuse, avec une teneur en composés d'insertion
et une température de traitement choisies en fonction des composés. De façon générale,
on a intérêt à travailler à la température la plus élevée compatible avec la stabilité
physique ou chimique des composés.
[0023] Il est avantageux d'ajouter à la phase aqueuse un produit complexant et on peut notamment
utiliser dans ce but des hétéropolyacides et leurs sels, en particulier des molybdates
alcalins. On peut citer l'heptamolybdate d'ammonium qui, en milieu acide de pH compris
entre 1 et 5, réagit avec Si(OH)₄ :

[0024] La silice est ainsi maintenue à l'état de coordination +6 et sa repolymérisation
est évitée.
[0025] Pour maintenir un pH entre 1 et 5, on peut ajouter de l'acide borique. Des ions F⁻
peuvent être ajoutés pour favoriser la dissolutionh de la silice.
Mise en solution aqueuse par condensation des groupements OH sur la silice
[0026] Cette approche, qui revient à une estérification, utilise le fait que les composés
de silicium ayant des fonctions silanol Si-OH plus acides que les alcools-R-OH (R
étant un radical carboné, habituellement alkyl) donnent des liaisons hydrogène fortes
qui provoquent des condensations au sein de la couche, en milieu acide ou basique,
c'est-à-dire en présence d'ions H⁺ ou OH⁻. C'est notamment le cas de beaucoup de composés
organo-siliciques.
[0027] Une réaction représentative est du genre :

où R et R2 désignent des radicaux carbonés, généralement alkyl comme R.
[0028] On constate que la silice passe notamment à l'état de polysiloxane. Les composés
finalement obtenus sont fluides, même à basse température, dans la mesure où les éléments
de dépôt n'ont pas un nombre excessif d'atomes de carbone et ne conduisent pas à des
chaînes trop longues.
[0029] De nombreux composés organiques permettent d'obtenir de telles réactions de condensation.
[0030] Un certain nombre d'entre eux seront maintenant énumérés à titre d'exemples.
1°/ Beaucoup de composés organiques ayant une ou plusieurs fonctions alcool, éventuellement
couplées avec des insaturations, sont utilisables. On peut notamment citer les alcools
méthylique, éthylique et butylique. Ces alcools peuvent être utilisés dans une très
large plage de concentration, comprise entre 5 et 95 %. Toutefois on utilisera généralement
une concentration comprise entre 5 et 30%.
Le cis 2 butène 1-4 diol à 20 % favorise une désagrégation du réseau siliceux du gel.
2°/ De nombreuses amines peuvent également être utilisées, ainsi que leurs sels solubles.
On peut notamment citer des amines aromatiques et les sels solubles des amines tertiaires,
en particulier les sels d'ammonium.
[0031] Plus généralement, on recherchera des amines donnant naissance à des groupements
de la forme :

où --- désigne une liaison H
[0032] Une fois la couche à base de silice détruite, il est en général nécessaire de repassiver
le métal de base. Cela peut être fait de façon classique par oxydation avec séchage
et déshydroxylation. Le séchage-oxydation peut être réalisé à 290-300°C pendant 24
à 48 heures avec balayage d'un gaz oxydant sec, par exemple constitué d'air sec ou
d'air enrichi en oxygène.
[0033] On donnera maintenant quelques exemples de mise en oeuvre de l'invention sur des
éprouvettes.
[0034] Les éprouvettes traitées étaient constituées par un tronçon en "Inconel" portant
diverses couches ; en particulier, la plupart portant une couche d'environ 100 µm
de magnétite et, dans certaines zones, un revêtement siliceux surmonté d'une couche
de magnétite.
Exemple 1 : Condensation par les phénols (mono, di, tri)
[0035] De façon générale, ces composés sont utilisables sous forme de solution aqueuse ammoniacale
avec ou sans fluorure d'ammonium ayant un rôle d'insertion.
[0036] On a notamment utilisé des solutions à 1 mole par litre d'ammoniaque, 20 à 300 g/l
de phénol de 0 à 100 g/l de fluorure d'ammonium NH₄F, pour des essais sur des éprouvettes
en Inconel préalablement recouvertes de gel d'aluminosilicate et sur des échantillons
provenant de générateur de vapeur de centrale nucléaire française comportant des dépôts
de magnétite et d'alumino-silicate.
[0037] Les températures utilisées ont varié de 80 à 150°C de manière à obtenir la meilleure
dissolution sans corroder le métal de base. Par exemple, un essai a consisté à placer
la solution et l'éprouvette, déjà débarrassée de la magnétite, dans un réacteur contenant
un agitateur magnétique. Le réacteur a été chauffé à 100°C et les vapeurs dégagées
ont été condensées dans une colonne et retournées au réacteur. Au bout de six heures,
l'éprouvette a été rincée dans une solution 1 M de NH₃ à chaud, pendant 15 à 20 minutes,
puis rincée dans l'éthanol avec agitation ultrasonique et enfin séchée à l'air comprimé.
[0038] D'autres essais ont été réalisés en réacteur de verre pour les températures inférieures
à 100°C et en autoclave pour les essais à température supérieure à 100°C. Les durées
d'essai ont varié entre 2 h et 6 h. Le phénol, le pyrocathécol et le pyrogallol ont
donné de bons résultats. Le pyrocathécol était utilisé à une teneur de 300 g à 25
g/l, entre la température d'ébullition et 150°C, avec et sans fluorure d'ammonium,
pendant une durée de 4 h à 5 h.
[0039] L'observation en microscopie électronique à balayage a montré que la couche siliceuse
avait été éliminée.
[0040] Des résultats similaires ont été obtenus avec d'autres composés similaires, par exemple
le 1,2,3 triphenol.
Exemple 2 : Condensation par l'éthanol avec complexation par le molybdate
[0041] On a préparé une solution à 20 % d'éthanol, 10 g par litre d'acide borique et 100
g par litre de molybdate d'ammonium dans l'eau distillée. La solution a encore été
placée dans un réacteur et maintenue à 80°C pendant sept heures. L'éprouvette a ensuite
été rincée dans l'éthanol avec application d'ultrasons, puis séchée à l'air comprimé.
L'observation en microscopie électronique a encore révélé que la couche de silice
avait été détruite.
[0042] On décrira maintenant un mode possible de mise en oeuvre de l'invention pour le nettoyage
chimique de la face externe des tubes d'un générateur de vapeur pour réacteur à eau
sous pression.
[0043] La première phase du procédé est destinée à éliminer la magnétite présente sur les
tubes et les plaques entretoises.
[0044] Le circuit secondaire du générateur de vapeur est rempli d'eau dont la température
est augmentée, par exemple par circulation d'eau à haute température dans le circuit
primaire. Les réactifs (EDTA) sont injectés dans l'eau de remplissage portée au pH
habituel pour le lessivage de la magnétite. L'eau chargée de réactifs est mise en
circulation, à un débit qui sera souvent d'environ de 150 m³ par heure pour un générateur
de vapeur type de centrale nucléaire, pour entraîner la magnétite des plaques entretoises.
Il est avantageux d'injecter également un débit d'azote destiné à activer l'effet
de la solution dans les interstices entre les tubes et les plaques entretoises.
[0045] La seconde étape, d'élimination des composés siliceux, peut faire immédiatement suite
à la première dans la mesure où les produits utilisés pour l'insertion ou la condensation,
choisis parmi ceux mentionnés ci-dessus, sont compatibles avec les produits utilisés
au cours de la première phase. En cas d'incompatibilité, le circuit secondaire du
générateur de vapeur est vidangé, puis rempli de nouveau et réchauffé. Les composants
d'insertion ou de condensation, destinés à éliminer le dépôt siliceux par solubilisation,
sont injectés. La solution est mise en circulation avec injection d'azote pour favoriser
la solubilisation dans les interstices. Après destruction de la couche et passage
des silicates en solution, le générateur est vidangé.
[0046] La passivation peut être effectuée par remplissage d'eau, mise en température et
injection de bulles d'oxygène pour amener le potentiel d'oxydation mesuré à l'électrode
au calomel saturé, au-dessus de 350 mV. Enfin, le générateur de vapeur peut être vidangé
et séché avant stockage.
1. Procédé de nettoyage chimique de pièces en matériau métallique portant un dépôt d'oxyde
de fer sur une couche de composés à teneur élevée en silice, suivant lequel on élimine
les oxydes métalliques en surface par une complexation (pouvant être précédée d'une
réduction), puis on effectue une mise en solution des composés siliceux par une réaction
en milieu aqueux d'insertion avec des composés électrophiles ou des hétéropolyacides
ou une réaction en milieu aqueux de condensation avec des alcools ou amines, destinée
à affaiblir les liaisons, dans un milieu assurant la complexation de Si(OH)₄.
2. Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce que les composés électrophiles
appartiennent au groupe comprenant les systèmes insaturés électrophiles, les systèmes
insaturés conjugués et les composés insaturés N-oxyde.
3. Procédé selon la revendication 2, caractérisé en ce que les systèmes insaturés conjugués
comprennent des groupements phényles substitués.
4. Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce que l'on maintient en solution
les composés siliceux en ajoutant au milieu des composés de complexation de Si(OH)₄.
5. Procédé selon la revendication 2, caractérisé en ce que les dits composés sont choisis
parmi les molybdates.
6. Procédé selon la revendication 5, caractérisé en ce que les sels sont des sels d'ammonium.
7. Procédé selon la revendication 1, et 4 à 6, caractérisé en ce que les systèmes insaturés
conjugués contiennent des groupements appartenant aux composés organiques ayant au
moins une fonction alcool, ou une fonction amine, ou leurs sels solubles.
8. Procédé selon la revendication 7, caractérisé en ce qu'on utilise une amine aromatique
ou le sel d'ammonium d'une telle amine.
9. Procédé suivant l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par une
étape finale de repassivation par oxydation et déshydroxylation.