Domaine technique
[0001] L'invention concerne des alliages d'aluminium de la série 2000 selon la désignation
de l'Aluminum Association des Etats-Unis, du type AlCuMg, présentant, après transformation
par filage, laminage ou forgeage, une très faible déformation au fluage et un temps
à rupture élevé pour des températures comprises entre 100 et 150°C, tout en conservant
des propriétés d'emploi au moins équivalentes à celles des alliages de ce type habituellement
utilisés pour des applications de même nature.
Etat de la technique
[0002] On sait, depuis plusieurs dizaines d'années, que des alliages du type AlCuMgFeNi
présentent une résistance au fluage plus élevée que les alliages AlCuMg à même teneur
en Cu et Mg. D'abord utilisés sous forme de pièces moulées, matricées ou forgées,
de tels alliages ont été adaptés à la fabrication de tôles à haute résistance et utilisés
notamment pour le fuselage de l'avion supersonique Concorde. Ils correspondent à la
désignation 2618 de l'Aluminum Association avec les fourchettes de composition suivantes
(% en poids):
Cu: 1,9 - 2,7 Mg: 1,3 - 1,8 Fe: 0,9 - 1,3
Ni: 0,9 - 1,2 Si: 0,10 - 0,25 Ti: 0,04 - 0,10
[0003] Une variante, pouvant contenir jusqu'à 0,25% de Mn et 0,25% de Zr + Ti, a été également
enregistrée sous la désignation 2618A.
[0004] L'alliage 2618, utilisé maintenant depuis plus de 20 ans, présente effectivement
une résistance au fluage compatible avec les conditions de vol d'un avion supersonique,
mais sa résistance à la propagation de fissures est un peu insuffisante, ce qui oblige
à une surveillance accrue du fuselage.
[0005] Dans le but de préparer un successeur à Concorde, on a cherché à modifier l'alliage
2618 pour améliorer sa résistance à la propagation de criques. Ainsi, le brevet FR
2279852 de CEGEDUR PECHINEY propose un alliage à teneur réduite en fer et nickel de
composition suivante (% en poids):
Cu: 1,8 - 3 Mg: 1,2 - 2,7 Si < 0,3 Fe: 0,1 - 0,4
Ni + Co: 0,1 - 0,4 (Ni + Co)/Fe: 0,9 - 1,3
[0006] L'alliage peut contenir également Zr, Mn, Cr, V ou Mo à des teneurs inférieures à
0,4%, et éventuellement Cd, In, Sn ou Be à moins de 0,2% chacun, Zn à moins de 8%
ou Ag à moins de 1%. On obtient avec cet alliage une amélioration sensible du facteur
de concentration de contraintes K
1c représentatif de la résistance à la propagation de criques. Par contre, les résultats
des essais de fluage aux températures de 100 et 175°C sont tout à fait comparables
à ceux du 2618.
Objet de l'invention
[0007] Dans le cadre de l'étude d'un nouvel avion supersonique civil dont la vitesse et
les conditions d'exploitation conduiront à une température de peau plus élevée pour
le fuselage, mais aussi pour d'autres applications telles que des moules de plasturgie,
des roues ou des structures de dégivrage d'avions ou des pièces de machines tournantes,
il est apparu nécessaire de disposer d'un alliage présentant une résistance au fluage
plus élevée que celle des alliages de l'art antérieur, c'est-à-dire une déformation
totale sous contrainte très faible entre 100 et 150°C pour une durée supérieure à
60000 h, et une limitation de l'endommagement de fluage susceptible d'amorcer des
fissurations de fatigue, se traduisant par un temps à rupture élevé, sans bien sûr
détériorer les autres propriétés d'emploi telles que les caractéristiques mécaniques
statiques ou la résistance à la corrosion.
[0008] L'invention a ainsi pour objet un alliage AlCuMg permettant d'obtenir sur un produit
corroyé par filage, laminage ou forgeage, une déformation en fluage après 1000 h,
à 150°C et sous une contrainte de 250 MPa, de moins de 0,3% et un temps à rupture
d'au moins 2500 h, de composition (% en poids):
Cu: 2,0 - 3,0 Mg: 1,5 - 2,1 Mn: 0,3 - 0,7 Zr < 0,15
Si: 0,3 - 0,6 Fe < 0,3 Ni < 0,3 Ti < 0,15
autres éléments < 0,05 chacun et 0,15 au total balance Al. L'alliage peut comporter
également de l'argent à une teneur inférieure à 1% et, dans ce cas, cet élément peut
se substituer partiellement au silicium et la somme Si + 0,4Ag doit être comprise
entre 0,3 et 0,6%.
[0009] Cu est compris de préférence entre 2,5 et 2,75% et Mg entre 1,55 et 1,8%.
Description de l'invention
[0010] L'alliage selon l'invention se distingue de celui décrit dans le brevet FR 2279852
par une teneur encore plus réduite en fer et en nickel et par une teneur plus élevée
en silicium.
[0011] Le fer et le nickel sont maintenus en dessous de 0,3% au lieu de 0,4% et il est même
possible de supprimer totalement le nickel, ce qui présente un avantage certain pour
le recyclage des déchets de fabrication en alliages courants de deuxième fusion. Cette
réduction n'était pas suggérée par l'état de la technique. Ainsi, D. ADENIS et R.
DEVELAY ont étudié l'influence du fer et du nickel sur la résistance au fluage dans
l'article "Relation entre la résistance au fluage et la microstructure de l'AU2GN"
paru dans les Mémoires scientifiques de la Revue de Métallurgie, n° 10, 1969 et ils
ont montré que la résistance au fluage à 150°C d'un alliage sans Fe et Ni était plutôt
moins bonne que celle d'un 2618. Le même article étudie également le rôle du silicium
et montre que la résistance au fluage est optimale pour une teneur en silicium de
0,25%.
[0012] De même, les études menées à l'ONERA par H. MARTINOD et J. CALVET sur l'alliage 2618
("Sur la stabilité à chaud des alliages d'aluminium réfractaires du type AU2GN" Etude
ONERA 1961) concluent qu'une teneur en silicium comprise entre 0,15 et 0,25% convient
le mieux pour l'utilisation même très prolongée à 200°C, les teneurs supérieures en
silicium jusqu'à 0,5% n'apportant aucune amélioration. D'autre part, le rôle métallurgique
du silicium, présent dans la structure sous forme de solution solide ou de précipités
Mg
2Si, ne semble pas devoir être différent pour le 2618 et pour un alliage à bas fer
et nickel. Ainsi, l'augmentation de la teneur en silicium vers des valeurs de l'ordre
de 0,5% n'était pas du tout suggérée par la littérature sur le sujet ni par le raisonnement
métallurgique.
[0013] Le rôle favorable de l'argent dans la résistance au fluage des alliages AlCuMg est
connu depuis de nombreuses années, en particulier pour les alliages de moulage, et
il a fait l'objet d'études métallurgiques, par exemple les travaux de I.J. POLMEAR
et M.J. COUPER "Design and development of an experimental wrought aluminum alloy for
use at elevated temperatures" Metallurgical Transactions A, vol. 19A, avril 1988,
pp. 1027-1035.
[0014] La demanderesse a constaté qu'on pouvait substituer au silicium une quantité 2,5
fois supérieure d'argent, ce qui, compte-tenu du coût de ce métal, n'a pas grand intérêt
économique. Elle a constaté par ailleurs, et de manière surprenante, que l'addition
simultanée de silicium et d'argent à des teneurs telles que Si + 0,4Ag soit supérieur
à 0,6% a une influence défavorable sur la résistance au fluage, en particulier sur
le temps à rupture.
[0015] L'alliage selon l'invention a une teneur en manganèse comprise entre 0,3 et 0,7%.
Le manganèse contribue à augmenter les caractéristiques mécaniques. L'alliage 2618
ne comportait pas de manganèse (H. MARTINOD mentionne dans son article une teneur
de 0,014% pour un exemple d'alliage industriel) sans doute pour ne pas perturber la
formation des composés intermétalliques au fer et au nickel Al
9FeNi. C'est probablement pour la même raison que le brevet FR 2279852, s'il mentionne
bien la possibilité d'une addition de manganèse d'au plus 0,4%, cet élément n'étant
d'ailleurs que l'un des 11 éléments d'addition optionnels, ne donne aucun exemple
de composition contenant du manganèse. Cette addition, jusqu'à une teneur de 0,7%
au delà de laquelle apparaissent des précipités nuisibles, est rendue possible par
la limitation du fer et du nickel et elle correspond à celle de l'alliage à haute
résistance 2024 utilisé pour les fuselages d'avions subsoniques.
[0016] La combinaison de ces différentes modifications, à savoir la limitation du fer et
du nickel, l'augmentation de la teneur en silicium et la présence de manganèse, conduit
à une augmentation inattendue de la résistance au fluage par rapport à l'alliage 2618
et par rapport à un alliage tel que décrit dans le brevet FR 2279852. Ainsi, lors
d'essais sur tôles minces d'épaisseur 1,6 mm, d'une durée de 1000 h sous contrainte
de 250 MPa à une température de 150°C, on obtient une déformation à 1000 h inférieure
à 0,3% au lieu de 1%, une vitesse de fluage en régime secondaire inférieure à 10
-9 s
- 1 au lieu de 2,5 10
-9 s
-1 et un temps à rupture supérieur à 2500 h au lieu de moins de 1500 h. Or, la structure
recristallisée à grains fins des tôles minces représente le cas le plus défavorable
pour la tenue en fluage, en particulier pour la déformation sous contrainte, à cause
de la déformation localisée aux joints de grains.
[0017] Ce dernier résultat est particulièrement intéressant, bien qu'il ait été rarement
pris en compte dans les études antérieures sur le fluage des alliages d'aluminium.
En effet, il est important, dans le cas d'une pièce de structure soumise à des contraintes
cycliques, non seulement que la déformation au fluage soit faible, mais que la rupture
soit la plus tardive possible. On retarde ainsi l'entrée de la courbe de fluage déformation-temps
dans la phase dite "tertiaire", c'est-à-dire celle où la pente de la courbe se remet
à augmenter et où s'amorce la rupture, avec l'apparition de fissures de fluage conduisant,
à cette température, à une faible résistance en fatigue.
[0018] La tenacité des alliages selon l'invention est tout à fait semblable à celle mentionnée
dans le brevet FR 2279852, c'est-à-dire qu'elle représente, pour le coefficient de
concentration de contrainte K
1c un gain de 20 à 40% par rapport à l'alliage 2618.
[0019] Les alliages selon l'invention peuvent être coulés sous forme de billettes ou de
plaques par les procédés classiques de coulée des alliages de la série 2000, et transformés
par filage, laminage à chaud et éventuellement à froid, matriçage ou forgeage, le
demi-produit ainsi obtenu étant habituellement traité thermiquement par mise en solution,
trempe, éventuellement traction contrôlée pour diminuer les contraintes résiduelles
et revenu, pour lui conférer les caractéristiques mécaniques requises par l'application
envisagée.
Exemples
Exemple 1
[0020] On a coulé des plaques en alliage 2618, en alliage A selon le brevet FR 2279852,
en 4 alliages B, C, D et E selon l'invention et 3 alliages F, G et H hors invention.
Les compositions chimiques des alliages sont indiquées au tableau 1. L'alliage A contient
du manganèse contrairement aux alliages exemplifiés dans le brevet, ce qui permet
de mieux apprécier par comparaison le rôle des autres éléments, en particulier le
silicium. Les alliages B, D et E contiennent de l'argent. L'alliage E est conforme
à l'invention, mais sa teneur en Mg est en dehors du domaine préférentiel. L'alliage
F est juste en dessous de la limite inférieure pour la somme Si + 0,4Ag et, de plus,
en dehors de la zone préférentielle pour Mg. L'alliage G est un peu au dessus de la
limite supérieure pour Si + 0,4Ag et l'alliage H est hors limites pour Cu.
[0021] Les plaques ont été ensuite homogénéisées 24 h à 520°C, laminées à chaud, puis à
froid jusqu'à l'épaisseur de 1,6 mm, présentant une structure métallurgique recristallisée
à grains fins après mise en solution de 40 mn à 530°C, traction contrôlée à 1,4% de
déformation, trempe et revenu de 19 h à 190°C.
[0022] Des essais de fluage ont été réalisés selon la norme ASTM E 139 et on a mesuré, pour
une contrainte de 250 MPa et une température de 150°C, la déformation après 1000 h,
la vitesse de fluage minimum, c'est-à-dire la pente de la courbe de déformation en
fluage en fonction du temps dans la zone secondaire de fluage, ainsi que le temps
à rupture, qui est représentatif de la résistance à l'endommagement. Les résultats
sont rassemblés dans le tableau 2.
[0023] On constate que les alliages selon l'invention présentent tous une déformation au
fluage à 1000 h inférieure à 0,30%, une vitesse minimum de fluage inférieure à 0,6
10
-9 par seconde et un temps à rupture supérieur à 2500 h, alors que ces valeurs sont
respectivement, aussi bien pour le 2618 que pour l'alliage selon FR 2279852 avec addition
de manganèse, de l'ordre de 0,9 à 1%, 2,5 10
-9 s
-1 et 1400 h.
[0024] On constate également le caractère critique des limites de la somme Si + 0,4Ag, la
déformation et le temps à rupture étant très dégradés en dessous de la limite inférieure
et le temps à rupture étant également dégradé au dessus de la limite supérieure de
0,6%. On voit enfin l'intérêt des fourchettes préférentielles de composition pour
Cu et Mg.
Exemple 2
[0025] On a coulé des plaques en alliage 2618, en alliage A de l'exemple précédent et en
3 autres alliages selon l'invention I, J et K dont la composition chimique est donnée
au tableau 3. Ces alliages ne contiennent pas d'argent et l'alliage J ne contient
pas du tout de nickel. Les alliages I et J ont une teneur en manganèse proche de la
limite basse de la fourchette, alors que celle de l'alliage K est proche de la limite
haute.
[0026] Les plaques ont été homogénéisées 24 h à 520°C, scalpées et laminées à chaud jusqu'à
une épaisseur de 14 mm. Une partie des tôles obtenues a été laissée à cette épaisseur,
et une autre partie a été laminée à froid jusqu'à 1,6 mm. Les tôles ont été mises
en solution à 530°C pendant 1 h pour les tôles de 14 mm et 40 mn pour les tôles de
1,6 mm, puis tractionnées, trempées et revenues 19 h à 190°C.
[0027] On a mesuré sur ces tôles la limite d'élasticité à 0,2% R
0,2, la charge de rupture Rm et l'allongement à la rupture A. Ces résultats sont indiqués
au tableau 4. Ils montrent que la limite d'élasticité et la charge de rupture sont
pratiquement les mêmes pour les 5 alliages, et que l'allongement des tôles en alliages
selon l'invention est légèrement supérieur à celui des tôles en 2618 ou en alliage
A.
1. Alliage d'aluminium à haute résistance au fluage présentant à l'état corroyé et traité
par mise en solution, trempe et revenu, une déformation au fluage à 1000 h à 150°C
sous 250 MPa de moins de 0,3% et un temps à rupture d'au moins 2500 h de composition
(% en poids):
Cu: 2,0 - 3,0 Mg: 1,5 - 2,1 Mn: 0,3 - 0,7
Fe < 0,3 Ni < 0,3 Ag < 1,0 Zr < 0,15 Ti 0,15
avec Si tel que: 0,3 < Si + 0,4Ag < 0,6
autres éléments < 0,05 chacun et < 0,15 au total.
2. Alliage selon la revendication 1, caractérisé en ce que Cu est compris entre 2,5 et
2,75%.
3. Alliage selon l'une des revendications 1 et 2, caractérisé en ce que Mg est compris
entre 1,55 et 1,8%.
4. Alliage selon l'une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce qu'il est corroyé
par filage.
5. Alliage selon l'une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce qu'il est corroyé
par forgeage.
6. Alliage selon l'une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce qu'il est corroyé
par laminage.