[0001] La présente invention concerne des superalliages à base de nickel adaptés notamment
à la fabrication d'aubes monocristallines fixes et mobiles de turbines à gaz, et montrant
une résistance au fluage élevée à très haute température tout en conservant une bonne
résistance à l'environnement des gaz de combustion. Ces alliages sont plus particulièrement
adaptés à des applications dans les moteurs aéronautiques servant à la propulsion
des avions et hélicoptères.
[0002] Les superalliages monocristallins à base de nickel sont les matériaux les plus performants
aujourd'hui utilisés pour la fabrication des aubes fixes et mobiles de turbines des
turbomachines à gaz aéronautiques. Les travaux de l'ONERA dans ce domaine ont débuté
dès la fin des années 1970 et se sont traduits, entre autres, par le dépôt de divers
brevets d'invention relatifs à des superalliages monocristallins destinés à différents
domaines d'applications: FR 2 503 188, FR 2 555 204, FR 2 557 598, FR 2 599 757, FR
2 643 085, FR 2 686 902.
[0003] L'évolution des performances des turbines à gaz aéronautiques, traduites en termes
de puissance et de rendement spécifiques et de durée de vie, nécessite de pouvoir
disposer d'alliages pour aubes de turbines montrant des caractéristiques mécaniques
à haute température (650 à 1150°C) et une résistance à la corrosion et à l'oxydation
à chaud sans cesse améliorées. Des conditions de fonctionnement extrêmes peuvent en
effet amener le métal à des températures supérieures à 1100°C. Afin d'optimiser la
résistance à la corrosion à chaud et à l'oxydation à chaud, les aubes monocristallines
en superalliage sont par ailleurs généralement revêtues d'un dépôt protecteur du type
aluminiure de nickel ou alliage MCrAlY. Afin de pallier à la fissuration et à la rupture
éventuelle de ces couches protectrices sous l'effet des cyclages thermiques, qui pénaliseraient
la durée de vie des pièces, les superalliages doivent cependant montrer une résistance
intrinsèque importante à la corrosion et à l'oxydation.
[0004] Dans les aubes polycristallines coulées par des procédés de fonderie conventionnels,
une grande partie de la déformation à chaud en cours de service se produit au niveau
des joints de grains ce qui limite la durée de vie des pièces. Le développement du
procédé de solidification monocristalline a permis, en éliminant les joints de grains,
d'augmenter de manière spectaculaire les performances des superalliages à base de
nickel. De plus le procédé permet de sélectionner l'orientation préférentielle de
croissance de la pièce monocristalline et donc de choisir une orientation <001>, optimale
vis-à-vis de la résistance au fluage et à la fatigue thermique qui sont les deux modes
de sollicitation causant les plus grands dommages aux aubes de turbines.
[0005] Les améliorations successives des performances mécaniques, en particulier en fluage,
de ces superalliages pour aubes monocristallines ont été rendues possibles par des
optimisations de leurs compositions chimiques. En effet, outre le nickel qui est le
constituant majeur de ces alliages, divers éléments d'addition apportent leurs contributions
spécifiques aux propriétés de ceux-ci. Les rôles de ces éléments seront détaillés
par la suite. Dans les superalliages monocristallins couverts par les brevets précités,
les éléments d'addition majeurs (concentrations pondérales à hauteur de quelques pour-cents)
ont généralement été choisis dans la liste suivante: chrome (Cr), cobalt (Co), molybdène
(Mo), tungstène (W), aluminium (Al), titane (Ti), tantale (Ta), niobium (Nb). Les
éléments Cr, Co, Mo et une partie du W participent principalement au durcissement
de la matrice austénitique (phase γ) où ils entrent en solution. Les éléments Al,
Ti, Ta et Nb favorisent la précipitation dans la matrice γ de particules durcissantes
d'une seconde phase du type Ni
3(Al, Ti, Ta, Nb) (phase γ'). Des éléments mineurs (concentrations pondérales inférieures
à 0,5%) tels que le silicium (Si), le hafnium (Hf), peuvent également être ajoutés
afin d'optimiser la résistance à l'environnement tel que démontré dans FR 2 686 902.
[0006] Depuis le début des années 1980, un grand nombre de brevets consacrés à de nouvelles
compositions chimiques de superalliages pour aubes monocristallines ont été déposés
dans le monde. Les évolutions les plus récentes ont consisté en particulier à incorporer
dans ces alliages les éléments réfractaires rhénium (Re) et ruthénium (Ru). Ces additions
visent surtout à améliorer la résistance au fluage à haute température des superalliages
monocristallins tout en conservant une microstructure stable à haute température vis-à-vis
de la formation de particules de phases intermétalliques qui sont susceptibles d'entraîner
des pertes de propriétés de ces alliages.
[0007] Divers brevets protègent ainsi des domaines de compositions de superalliages monocristallins
contenant des additions de l'un et/ou l'autre des éléments Re et de Ru, notamment
US 4 719 080 (United Technologies Corporation), US 4 935 072 (Allied-Signal Inc),
US 5 151 249 (General Electric) US 5 270 123 (General Electric) et US 5 482 789 (General
Electric). Toutefois, les informations disponibles quant aux propriétés de ces alliages
sont très limitées, et ne permettent pas de juger de l'intérêt industriel de ces additions.
[0008] En France aujourd'hui les superalliages monocristallins utilisés sont dits de "première
génération", comme par exemple les nuances AM1 et MC2 couvertes toutes deux par le
brevet FR 2 557 598 et l'alliage AM3 protégé par le brevet FR 2 599 757. Parmi ceux-ci,
l'alliage MC2 est considéré comme l'alliage le plus performant en ce qui concerne
la résistance au fluage jusqu'à 1100°C. Les besoins futurs des motoristes nécessitent
cependant de pouvoir disposer d'alliages pour aubes plus performants que ces alliages
de première génération. Il est en particulier nécessaire d'augmenter les températures
maximales admissibles par les alliages constituant les aubes de turbines.
[0009] Le but de l'invention est donc de proposer une nouvelle famille de superalliages
monocristallins à base de nickel montrant une résistance au fluage améliorée, en particulier
aux températures supérieures à 1100°C, mais également à des températures moins élevées
intéressant diverses parties des aubes, par rapport à celles des alliages exploités
industriellement.
[0010] À cet effet, on a cherché à introduire de nouveaux éléments d'addition, sans pénaliser
d'autres caractéristiques essentielles au bon comportement des alliages, telles que
la masse volumique, la résistance à la corrosion et à l'oxydation à chaud et la stabilité
microstructurale.
[0011] L'analyse de l'état de la technique ainsi que les résultats des travaux menés par
l'inventeur ont rapidement montré que seul des alliages contenant des additions de
rhénium pouvaient permettre de dépasser la résistance au fluage de l'alliage MC2 au
delà de 1100°C. Pour contrebalancer certains effets néfastes du rhénium (masse volumique
excessive, instabilité microstructurale), il semble par ailleurs avantageux d'incorporer
du ruthénium.
[0012] L'invention vise un superalliage à base de nickel adapté à la fabrication de pièces
de turbomachines par solidification monocristalline, caractérisé en ce que sa composition
en masse est la suivante:
Cr |
3,5 à 7,5 % |
Mo |
0 à 1,5 % |
Re |
1,5 à 5,5 % |
Ru |
0 à 5,5 % |
W |
3,5 à 8,5 % |
Al |
5 à 6,5 % |
Ti |
0 à 2,5 % |
Ta |
4,5 à 9 % |
Hf |
0,08 à 0,12 % |
Si |
0,08 à 0,12 %, |
le complément à 100 % étant constitué par Ni et les impuretés éventuelles.
[0013] Plus particulièrement, l'invention propose un tel superalliage ayant la composition
en masse suivante:
Cr |
3,5 à 5,5 % |
Mo |
0 à 1,5 % |
Re |
4,5 à 5,5 % |
Ru |
2,5 à 5,5 % |
W |
4,5 à 6,5 % |
Al |
5 à 6,5 % |
Ti |
0 à 1,5 % |
Ta |
5 à 6,2 % |
Hf |
0,08 à 0,12 % |
Si |
0,08 à 0,12 %, |
le complément à 100 % étant constitué par Ni et les impuretés éventuelles.
[0014] Plus particulièrement encore, la composition en masse du superalliage est la suivante:
Cr |
3,5 à 5,5 % |
Mo |
0 à 1,5 % |
Re |
3,5 à 4,5 % |
Ru |
3,5 à 5,5 % |
W |
4,5 à 6,5 % |
Al |
5,5 à 6,5 % |
Ti |
0 à 1 % |
Ta |
4,5 à 5,5 % |
Hf |
0,08 à 0,12 % |
Si |
0,08 à 0,12 %, |
le complément à 100 % étant constitué par Ni et les impuretés éventuelles.
[0015] Trois compositions spécifiques de superalliages selon l'invention sont données ci-après:
Cr |
3,5 à 4,5 % |
4,5 à 5,5 % |
3,5 à 4,5 % |
Mo |
0,5 à 1,5 % |
|
0,5 à 1,5 % |
Re |
3,5 à 4,5 % |
3,5 à 4,5 % |
4,5 à 5,5 % |
Ru |
3,5 à 4,5 % |
4,5 à 5,5 % |
2,5 à 3,5 % |
W |
4,5 à 5,5 % |
5,5 à 6,5 % |
5,5 à 6,5 % |
Al |
5,5 à 6,5 % |
5,5 à 6,5 % |
4,8 à 5,8 % |
Ti |
0 à 1 % |
0 à 1 % |
0,5 à 1,5 % |
Ta |
4,5 à 5,5 % |
4,5 à 5,5 % |
5,7 à 6,7 % |
Hf |
0,08 à 0,12 % |
0,08 à 0,12 % |
0,08 à 0,12 % |
Si |
0,08 à 0,12 % |
0,08 à 0,12 % |
0,08 à 0,12 % |
le complément à 100 % étant constitué par Ni et les impuretés éventuelles.
[0016] Les alliages selon l'invention, élaborés sous la forme de monocristaux d'orientation
<001>, présentent les propriétés suivantes:
- une masse volumique inférieure dans tous les cas à 9 g.cm-3, et au mieux à 8,8 g.cm-3, permettant de minimiser la masse des aubes monocristallines et par conséquent de
limiter la contrainte centrifuge agissant sur ces aubes et sur le disque de turbine
sur lequel elles sont fixées;
- une aptitude à l'homogénéisation par remise en solution totale des particules de phase
γ', γ compris les phases eutectiques γ/γ';
- une température élevée de mise en solution de la phase durcissante γ', dans tous les
cas supérieure à celle des alliages antérieurs ne contenant ni rhénium, ni ruthénium;
- l'absence de phases intermétalliques fragiles pouvant précipiter au cours de maintiens
à haute température et susceptibles d'entraîner une réduction de la résistance au
fluage et une fragilisation des alliages;
- une tenue à la corrosion cyclique à chaud et à l'oxydation cyclique à chaud supérieure
à celle des alliages antérieurs ne contenant ni rhénium ni ruthénium.
[0017] L'obtention simultanée de l'ensemble de ces caractéristiques permet d'optimiser la
résistance au fluage à très haute température et la tenue à l'environnement des aubes
monocristallines et donc d'augmenter leur durée de vie ainsi que les performances
des turbines à gaz.
[0018] L'invention fournit ainsi une combinaison unique de caractéristiques des alliages,
que l'état de la technique ne permettait pas de prévoir.
[0019] Les alliages de l'invention sont destinés à la fabrication de pièces monocristallines,
c'est-à-dire constituées d'un seul grain métallurgique. Cette structure particulière
est obtenue à l'aide d'un procédé de solidification dirigée dans un gradient thermique
en utilisant un dispositif de sélection de grain ou un germe monocristallin en début
de solidification.
[0020] Après solidification les superalliages sont essentiellement constitués de deux phases:
la matrice austénitique γ est une solution solide à base de nickel dans laquelle des
particules de phase γ', composé intermétallique dont la composition est basée sur
Ni
3Al, précipitent au cours du refroidissement à l'état solide. Les éléments d'addition
se répartissent dans les deux phases γ et γ' mais montrent généralement une affinité
particulière pour l'une ou l'autre de ces deux phases. Ainsi le chrome, le molybdène,
le rhénium et le ruthénium se répartissent préférentiellement dans la matrice γ alors
que l'aluminium, le titane et le tantale vont préférentiellement dans la phase γ'.
[0021] Dans les alliages bruts de solidification monocristalline, la répartition des particules
de phase durcissante γ' est très hétérogène dans le volume du monocristal du fait
de ségrégations chimiques résultant des conditions de solidification propres au procédé.
La microstructure est dite dendritique. Les précipités sont très fins dans le coeur
des dendrites qui se solidifie en premier au cours du refroidissement de l'alliage
et deviennent plus gros dans les régions se solidifiant ensuite à partir du centre
de la dendrite. De plus, en fin de solidification, des phases eutectiques constituées
de particules massives de phase γ' contenant des lamelles de phase γ se solidifient
dans les régions séparant les dendrites.
[0022] L'expérience a cependant montré que la résistance au fluage des superalliages à base
de nickel était optimisée lorsque la distribution des particules de phase γ' était
homogène dans tout le volume de l'alliage avec des tailles de précipités inférieures
à 1 micromètre, la taille optimale des précipités dépendant de la composition de l'alliage.
La phase γ' contenue dans les phases eutectiques ne contribue pas, en particulier,
au durcissement des alliages et le potentiel de résistance au fluage des alliages
n'est donc pas totalement exploité dans l'état brut de solidification. Ces blocs massifs
de phase eutectique γ/γ' sont par ailleurs des sites préférentiels d'amorçage de fissures
lors des sollicitations cycliques résultant de phénomènes de fatigue thermique dus
au cycles de démarrage et arrêt des turbines à gaz.
[0023] Les compositions des alliages de l'invention ont été choisies de manière à pouvoir
obtenir des microstructures biphasées γ/γ', constituées d'une précipitation homogène
de particules γ' dans une matrice γ à l'issue des étapes de solidification monocristalline
et de traitements thermiques détaillées par la suite. Afin d'atteindre cette microstructure
optimisée, il est nécessaire dans un premier temps d'appliquer un traitement thermique
destiné à dissoudre les précipités de phase γ' contenus dans les dendrites et d'éliminer
les phases eutectiques solidifiées entre les dendrites. La dissolution des précipités
γ' est réalisée lorsque la température du traitement thermique atteint la température
de solvus γ' (température de mise en solution des précipités de phase γ') caractéristique
de la composition chimique de l'alliage. En pratique la valeur du solvus γ' varie
périodiquement dans l'alliage brut de solidification monocristalline en relation avec
la chimie locale de l'alliage. Ainsi le solvus γ' augmente du coeur de la dendrite
vers les régions interdendritiques du fait des ségrégations chimiques, jusqu'à atteindre
la température de début de fusion de la phase γ' eutectique qui est le dernier solide
formé au cours du refroidissement de l'alliage depuis l'état liquide. Cette température
de début de fusion de l'eutectique est en pratique assimilée à la température de solidus
(température de début de fusion) de l'alliage. La température du traitement d'homogénéisation
doit donc rester en deçà de la température de solidus.
[0024] Pratiquement la dissolution complète des précipités γ' et des eutectiques γ/γ' a
pu être obtenue dans les alliages de l'invention grâce à l'application de séquences
de traitements thermiques incluant une homogénéisation préalable des structures dendritiques.
Cette séquence de traitements thermiques comporte un premier traitement de pré-homogénéisation
de 3 heures à une température comprise entre 1300 et 1310°C, puis une augmentation
progressive de 30°C à la vitesse de 3°C.h
-1, avant un nouveau palier de 3 heures à une température comprise entre 1330 et 1340°C,
le refroidissement final devant être effectué à une vitesse telle que la taille finale
des précipités de phase γ' soit inférieure à 300 nm. La totalité des phase eutectiques
γ/γ' est ainsi éliminée. Ce résultat a pu être obtenu pour tous les alliages de l'invention.
La séquence de traitements thermiques qui vient d'être décrite est un exemple permettant
d'obtenir le résultat escompté. Ceci n'exclut pas la possibilité d'obtenir un résultat
semblable en utilisant une autre séquence de traitements thermiques, le résultat du
traitement étant plus important que la manière d'y parvenir. L'important est d'avoir
démontré la possibilité d'obtenir un tel résultat dans le cas des alliages de l'invention.
[0025] Les alliages de l'invention ont été testés après avoir été soumis à une séquence
de traitements d'homogénéisation et de mise en solution de la phase γ' telle que décrite
plus haut, puis à deux traitements thermiques de revenu permettant de fixer la taille
et la fraction volumique des précipités de phase γ'. Un premier revenu consiste en
un traitement de 4 à 16 heures à une température comprise entre 1050 et 1150°C permettant
de fixer la taille des précipités de phase γ' entre 300 et 500 nm. Un second traitement
de revenu consiste en un traitement de 15 à 25 heures à une température comprise entre
850 et 870°C permettant d'optimiser la fraction de phase γ' précipitée. Ces traitements
de revenus sont compatibles avec les traitements de diffusion des revêtements protecteurs
et les traitements de brasage généralement appliqués aux aubes monocristallines de
turbines lors de leur fabrication. L'examen micrographique montre que les précipités
de phase γ' sont de forme grossièrement cubique et représentent une fraction volumique
d'au moins 70% dans l'alliage. Ils sont contenus dans la matrice γ qui apparaît sous
la forme de fins couloirs entre ces précipités.
[0026] La résistance au fluage à haute température est d'autant plus grande que la fraction
volumique de la phase durcissante γ' précipitée dans l'alliage est élevée. A la température
ambiante, les alliages de l'invention contiennent une fraction volumique voisine de
70%. Lorsque la température augmente depuis la température ambiante, la phase γ' se
dissout progressivement dans la matrice γ, lentement jusqu'à environ 1000°C, puis
plus rapidement au-delà de 1000°C. Lorsque la température de solvus γ' est dépassée,
les précipités γ' sont alors totalement dissous. La réduction de la fraction volumique
de la phase γ' lorsque la température augmente est l'une des causes de la diminution
de la résistance au fluage des superalliages.
[0027] Un des apports majeurs de l'invention est d'augmenter de manière sensible la température
de solvus γ' afin de conserver une fraction volumique élevée de phase γ' aux températures
supérieures à 1100°C et donc d'obtenir une résistance très élevée en fluage à ces
températures. L'invention concerne donc des alliages dits à "haut solvus γ'" montrant
une résistance au fluage très élevée au delà de 1100°C. L'expérience acquise par l'inventeur
dans le domaine a montré que les augmentations des concentrations en Al, Ti, Ta, Mo
et W entraînaient un accroissement du solvus γ'. Par contre les additions des éléments
Cr et Co conduisaient à une diminution de la température du solvus γ'. En ce qui concerne
le rhénium et le ruthénium, les travaux antérieurs n'ont pas conclu explicitement
quant à leur rôle spécifique sur la température de solvus γ'.
[0028] Les accroissements des concentrations en éléments augmentant le solvus γ' peuvent
cependant conduire à des effets pouvant nuire aux propriétés des alliages. Ainsi des
concentrations trop élevées en éléments Al, Ti et Ta conduisent à la formation d'une
quantité excessive de phases eutectiques γ/γ' lors de la solidification des alliages;
ces phases ne peuvent plus alors être totalement éliminées par des traitements thermiques
ultérieurs, ce qui nuit à l'homogénéité de l'alliage et par conséquent à sa résistance
au fluage. De plus la concentration en Ta doit être limitée car cet élément a une
masse atomique élevée et pénalise les alliages du point de vue de la densité.
[0029] Les éléments Mo et W ont également un effet bénéfique sur le solvus γ' mais ces éléments
sont lourds, en particulier W, et leur teneur doit être contrôlée pour ne pas augmenter
exagérément la densité des alliages.
[0030] Par ailleurs, la solubilité de ces éléments dans la matrice γ est limitée, au même
titre que celle du rhénium et à un moindre niveau celles du cobalt et du chrome, ce
qui peut conduire à la précipitation de phases intermétalliques fragiles du type σ,
µ, P ou phase de Laves. La présence de ces phases dénommées topologiquement compactes
(en anglais T.C.P.: topologically close-packed) peut entraîner une perte de propriétés
mécaniques dans les superalliages où elles précipitent. L'obtention d'alliages non
susceptibles de former ces phases intermétalliques fragiles est un des arguments principaux
des brevets antérieurs sur les superalliages monocristallins.
[0031] La diminution des concentrations en éléments Cr et Co entraîne une réduction de la
température du solvus γ'. Ainsi une des idées majeures de l'invention est de s'abstenir
de toute addition de Co dont le rôle sur la résistance au fluage des superalliages
est faible comparé à celui des autres éléments d'addition. Par contre, le chrome a
été maintenu car sa présence est indispensable au maintien d'une bonne tenue à la
corrosion à chaud.
[0032] Les exemples de l'invention détaillés par la suite montrent que l'objectif d'obtenir
des alliages à haut solvus a été atteint grâce à un choix judicieux des compositions
chimiques tenant compte des considérations qui viennent d'être exposées.
[0033] Outre l'optimisation de la fraction volumique et de la température de solvus de la
phase γ', l'amélioration de la résistance au fluage des superalliages monocristallins
peut être obtenue par l'augmentation des concentrations en éléments réfractaires Mo,
W, Re et Ta qui jouent un rôle important dans le durcissement en solution solide des
phases γ et γ'. Ces éléments lourds ralentissent par ailleurs l'ensemble des mécanismes
élémentaires qui sont contrôlés par la diffusion des atomes, ce qui a des conséquences
bénéfiques sur la résistance au fluage des alliages. L'addition de rhénium, en particulier,
limite le grossissement des particules de phase γ' au cours des maintiens à haute
température, phénomène qui participe à la dégradation au cours du temps des propriétés
mécaniques des superalliages. D'autre part l'accroissement des concentrations en éléments
réfractaires ralentit le mouvement thermiquement activé des dislocations qui propagent
la déformation dans les superalliages, ce qui a pour effet de réduire la vitesse de
fluage.
[0034] Les concentrations en éléments réfractaires doivent être cependant soigneusement
équilibrées de manière à ne pas augmenter de manière excessive la densité des alliages.
[0035] Les éléments W et Mo présents à des teneurs trop élevées sont néfastes vis-à-vis
de la tenue à l'oxydation et à la corrosion des superalliages monocristallins alors
que la présence de rhénium ne pénalise pas la tenue à l'environnement de ces alliages
[0036] De plus, l'élément réfractaire Ru, dans le cadre de l'invention, présente l'intérêt
d'avoir une masse volumique deux fois plus faible que celle du rhénium. Des travaux
de l'inventeur dans ce domaine montrent que le Ru favorise moins que le rhénium la
précipitation des phases intermétalliques fragiles.
[0037] Les alliages selon l'invention comportent également des additions simultanées de
silicium et de hafnium. De telles additions permettent d'optimiser la tenue à l'oxydation
à chaud des alliages en améliorant l'adhérence de la couche protectrice d'alumine
formée à haute température.
[0038] Des alliages selon l'invention ont été élaborés, solidifiés sous la forme de monocristaux
d'orientation cristallographique <001> et testés. Cette orientation cristallographique
est celle retenue de manière habituelle pour la solidification dirigée des aubes monocristallines
de turbines. Elle confère à ces pièces une combinaison optimale de résistance au fluage
et de résistance à la fatigue thermique et à la fatigue mécanique.
[0039] À titre d'exemple, les compositions chimiques nominales (% en poids) de quelques
alliages de l'invention sont rassemblées dans le tableau I, conjointement à celle
de l'alliage de référence MC2 décrit dans FR 2 557 598. Cet alliage sert de référence
car il est, à la connaissance de l'inventeur, le plus performant en fluage parmi les
alliages ne contenant ni rhénium ni ruthénium.
Tableau I
Alliage |
Ni |
Co |
Cr |
Mo |
W |
Re |
Ru |
Al |
Ti |
Ta |
Si |
Hf |
MC2 |
Base |
5 |
8 |
2 |
8 |
- |
- |
5 |
1,5 |
6 |
- |
- |
MC820 |
Base |
- |
5 |
1 |
8 |
2 |
- |
5,5 |
1 |
6 |
0,1 |
0,1 |
MC533 |
Base |
- |
7 |
- |
5 |
3 |
3 |
6 |
- |
6 |
0,1 |
0,1 |
MC440 |
Base |
- |
5 |
1 |
4 |
4 |
- |
5,5 |
- |
9 |
0,1 |
0,1 |
MC722 |
Base |
- |
4,5 |
1 |
7 |
2,5 |
2,5 |
5,8 |
- |
6 |
0,1 |
0,1 |
MC623 |
Base |
- |
6 |
1 |
6 |
2 |
3 |
5,7 |
0,5 |
5,5 |
0,1 |
0,1 |
MC622 |
Base |
- |
5,5 |
1 |
6 |
2,5 |
2 |
5,9 |
0,5 |
5 |
0,1 |
0,1 |
MC544 |
Base |
- |
4 |
1 |
5 |
4 |
4 |
6 |
0,5 |
5 |
0,1 |
0,1 |
MC645 |
Base |
- |
5 |
- |
6 |
4 |
5 |
6 |
0,5 |
5 |
0,1 |
0,1 |
MC653 |
Base |
- |
4 |
1 |
6 |
5 |
3 |
5,3 |
1 |
6,2 |
0,1 |
0,1 |
[0040] Les valeurs des masses volumiques de ces alliages ont été mesurées et sont reportées
dans le tableau II. Ces valeurs sont dans tous les cas inférieures à 8,95, et pour
la plupart inférieures à 8,8. Elles satisfont donc à l'objectif fixé.
Tableau II
Alliage |
Masse volumique (g.cm-3) |
Tsolvus γ' (°C) |
MC2 |
8,62 |
1266 |
MC820 |
8,78 |
1300 |
MC533 |
8,64 |
1292 |
MC440 |
8,85 |
1304 |
MC722 |
8,82 |
1300 |
MC623 |
8,71 |
1294 |
MC622 |
8,68 |
1298 |
MC544 |
8,75 |
1292 |
MC645 |
8,75 |
1320 |
MC653 |
8,93 |
1308 |
[0041] Dans l'état brut de solidification monocristalline, Ces alliages montrent des fractions
d'eutectique γ/γ' variables mais l'application de traitements d'homogénéisation tels
que ceux décrits auparavant permettent de remettre totalement en solution les précipités
de phase γ' et d'éliminer les phases eutectiques γ/γ' sans provoquer de fusion locale
des alliages.
[0042] Les températures de solvus γ' ont été mesurées par analyse thermique dilatométrique
sur des échantillons d'alliages préalablement homogénéisés. Les valeurs du solvus
γ' ont été reportées dans le tableau II. La valeur du solvus γ' de l'alliage MC2 mesurée
dans des conditions similaires est également reportée pour comparaison dans le tableau
II. Les températures de solvus γ' des alliages de l'invention sont toujours supérieures
à celle de l'alliage de référence MC2, les écarts variant entre 26 et 54°C selon les
alliages.
[0043] Des essais de fluage en traction ont été réalisés sur des éprouvettes usinées dans
des barreaux monocristallins d'orientation <001> de divers alliages de l'invention.
Les barreaux ont été au préalable homogénéisés puis revenus selon les procédures décrites
auparavant. Les valeurs des temps à rupture pour des conditions différentes de fluage
et pour divers alliages de l'invention sont comparées dans le tableau III aux valeurs
obtenues dans les mêmes conditions sur l'alliage monocristallin de référence MC2.
Tableau III
Alliage |
Conditions de fluage / Durées de vie en heures |
|
T = 760°C
σ = 840 MPa |
T = 950°C
σ = 300 MPa |
T = 1050°C
σ = 150 MPa |
T = 1100°C
σ = 130 MPa |
T = 1150°C
σ = 100 MPa |
MC2 |
369 |
198 |
485 |
156 |
5,6 |
MC820 |
386 |
205 |
439 |
168 |
105 |
MC533 |
561 |
298 |
401 |
151 |
52 |
MC440 |
154 |
162 |
198 |
102 |
52 |
MC722 |
118 |
274 |
248 |
87 |
109 |
MC623 |
455 |
222 |
289 |
126 |
62 |
MC622 |
175 |
232 |
257 |
129 |
117 |
MC544 |
162 |
458 |
486 |
199 |
151 |
MC645 |
2105 |
404 |
499 |
171 |
185 |
MC653 |
1153 |
456 |
726 |
216 |
194 |
[0044] Tous les alliages des exemples montrent une durée de vie en fluage à 1150°C très
supérieure à celle de l'alliage de référence MC2. Le rapport entre les durées de vie
varie entre 9 et 33 environ. Ce résultat est conforme au principal objectif fixé.
Le gain de durée de vie à cette température est spectaculaire et est attribué, au
moins en partie, à l'augmentation significative de la température de solvus γ' dans
les alliages de l'invention par rapport à l'alliage de référence MC2.
[0045] Pour les autres conditions d'essai, les alliages de l'invention montrent des durées
de vie variables qui peuvent être supérieures à celles de l'alliage de référence MC2
selon l'alliage et la température considérés. Des résultats remarquables sont obtenus
en particulier à 950°C et à 760°C dans le cas de certains alliages de l'invention.
[0046] Les alliages les plus performants sont les alliages MC544, MC645 et MC653. Ils montrent
des durées de vie en fluage au moins égales et généralement supérieures à celle de
l'alliage MC2 dans tout l'intervalle de température considéré, excepté l'alliage MC544
à 760°C. Les gains de durée de vie les plus importants sont obtenus à 950 et 1150°C.
[0047] Des essais d'oxydation cyclique à 1100°C ont été conduits dans l'air sur des échantillons
de superalliages de l'invention homogénéisés et revenus selon les procédures décrites
auparavant. Chaque cycle d'essai comprend un maintien d'une heure à 1100°C suivi d'un
refroidissement à la température ambiante. Les comportements en oxydation cyclique
des différents alliages sont illustrés dans les graphiques des figures 1a et 1b où
sont reportées les variations de masse spécifique (perte de masse par unité de surface)
des échantillons en fonction du nombre de cycles d'oxydation d'une heure. Des essais
ont été conduits dans les mêmes conditions sur l'alliage de référence MC2. La résistance
en oxydation d'un superalliage est d'autant meilleure que sa variation de masse spécifique
est faible. Tous les alliages de l'invention montrent ainsi une résistance à l'oxydation
cyclique supérieure à celle de l'alliage de référence MC2.
[0048] Des essais de corrosion cyclique ont été menés à 850°C sur des échantillons d'alliages
de l'invention et de l'alliage de référence MC2. Les échantillons ont été préalablement
homogénéisés et revenus selon les procédures décrites auparavant. Chaque cycle comprend
un maintien d'une heure à 850°C suivi d'un refroidissement à la température ambiante.
Les échantillons sont contaminés avec Na
2SO
4 (0,5 mg.cm
-2) toutes les 50 heures. Les variations de la masse spécifique des échantillons d'alliage
sont portées en fonction du nombre de cycles dans les graphiques des figures 2a et
2b. Le comportement en corrosion est considéré comme satisfaisant lorsque la masse
de l'échantillon varie peu: c'est la période d'incubation. Un stade de corrosion accéléré
intervient à la suite du stade d'incubation. Cette corrosion accélérée se traduit
le plus souvent par une rapide prise de masse correspondant à la formation de produits
de corrosion. Les graphiques montrent un comportement médiocre pour l'alliage de référence
MC2 pour lequel le stade de corrosion accéléré intervient rapidement. Les alliages
de l'invention montrent des stades d'incubation de durées variables, mais dans tous
les cas plus longs que celui caractérisant l'alliage de référence MC2, ce qui démontre
une meilleure résistance à la corrosion cyclique.
[0049] Les microstructures des alliages de l'invention ont été contrôlées au terme de traitements
de vieillissement isothermes de 200 heures à 1050°C et à l'issue des essais de fluage
menés à rupture à 760, 950, 1050, 1100 et 1150°C afin de contrôler leur stabilité
microstructurale vis-à-vis de la précipitation de phase intermétalliques indésirables
du type σ, µ ou phase de Laves. Seul l'alliage MC820 montre des particules aiguillées
de phase riche en rhénium au terme du traitement de vieillissement de 200 heures à
1050°C ainsi qu'au terme des essais de fluage à rupture à 1050 et 1100°C. Ces particules
sont localisées dans les coeurs de dendrites, là où le rhénium se sépare préférentiellement
au cours du processus de solidification dirigée. Tous les autres alliages de l'invention
cités dans le tableau I sont exempts de particules de phases indésirables riches en
rhénium au terme des traitements de vieillissement et essais de fluage.