[0001] L'invention concerne un procédé et un dispositif destinés à empêcher ou pour le
moins retarder fortement la transmission des fissures des couches d'assises d'une
chaussée vers les couches de roulements.
[0002] La France utilise depuis plus de vingt ans, de façon intensive, des matériaux traités
par des liants hydrauliques ou pouzzolaniques pour réaliser les couches d'assises
des routes à grand et moyen trafic. Une part importante des autoroutes de liaison
construites depuis les années 1960 et la plupart des renforcements lourds réalisés
sur les routes nationales depuis 1969 font appel à cette technique.
[0003] Les performances mécaniques élevées (résistance et module de déformation que confère
aux granulats l'adjonction d'un liant hydraulique -ciment ou dérivé, laitiers granulés
de hauts fourneaux activés- ou pouzzolanique -cendres de centrales thermiques + chaux
ou pozzolanes naturelles + chaux-) sont fortement appréciées des concepteurs et des
maîtres d'oeuvre. De plus cette technique conduit à des structures de chaussée souvent
économiques. Enfin l'utilisation comme liants de sous-produits ou de déchets industriels
permet une valorisation intéressante de ces produits et règle certains problèmes
d'environnement.
[0004] Par contre les constatations faites sur le réseau routier français utilisant des
assises traitées aux liants hydrauliques montrent que pour le climat français et pour
les liants et les formulations retenues depuis une vingtaine d'années, les couches
de base et de fondation sont l'objet d'une fissuration de retrait thermique inéluctable.
Cette fissuration se transmet à la couche de roulement et apparaît à la surface sous
forme de fissures transversales dont l'espacement varie le plus souvent entre 5 m
et 10 m et dont l'ouverture, limitée le plus souvent à quelques millimètres, dépend
de la température.
[0005] L'espacement des fissures dépend de la nature et du dosage en liant, de la période
de réalisation de la couche d'assise et de la qualité de l'accrochage de la couche
traitée au liant hydraulique à la couche inférieure. A même température l'ouverture
des fissures dépend essentiellement de la nature du granulat traité (le coefficient
de dilatation d'un calcaire et d'un matériau siliceux varie dans un rapport voisin
de 2) et de l'espacement entre fissures. La vitesse d'apparition de la fissure en
surface dépend, en dehors des conditions climatiques, de l'épaisseur et de la nature
de la couche de roulement et de la qualité de l'accrochage entre la couche de roulement
et la couche traitée par un liant hydraulique.
[0006] Pour empêcher ou pour le moins retarder fortement la transmission des fissures des
couches d'assises dans les couches de roulement, plusieurs techniques peuvent être
employées conjointement ou séparément :
. réduction de l'ouverture et des mouvements des bords des fissures,
. interposition, au droit de la fissure, entre la couche d'assise et la couche de
roulement, d'un produit ou d'un complexe découplant partiellement les deux couches,
. utilisation pour la couche de roulement de mélanges bitumineux adaptés résistant
aux contraintes de traction,
. préfissuration de la couche traitée par les liants hydrauliques.
[0007] Le but de la préfissuration est de localiser, dès la mise en oeuvre, les fissures
de retrait thermique de la couche traitée par un liant hydraulique, qui, pour les
formules utilisées en France, ne se produiraient le plus souvent qu'au cours du premier
hiver suivant la réalisation du chantier.
[0008] Dans cette technique, l'espacement entre les fissures provoquées est fortement réduit
par rapport à celui constaté sur un chantier où les fissures se sont produites "naturellement"
(2 m à 3 m par exemple au lieu de 5 m à 10 m).
[0009] Les avantages de la technique de préfissuration sont les suivants :
. Le pas de la fissuration étant réduit par rapport à celui des fissures "naturelles",
le souffle de ces fissures (variation de l'ouverture de la fissure) est plus faible
lors des variations de température car il est lié au retrait et à la dilatation de
dalles de longueur plus faible
. Les fissures étant localisées avant leur apparition, un traitement préalable permettant
de retarder l'amorçage de la fissuration dans la couche de roulement peut être réalisé
avant exécution de cette dernière.
[0010] La solution du sciage et du garnissaqge de la saignée ainsi réalisée par un produit
adapté n'est pas utilisable dans les cas des couches d'assises de chaussées. En effet,
la faible vitesse de durcissement des formules généralement utilisées ne permet pas
d'obtenir un matériau qui puisse être scié sans dégradation. Cette technique classique
pour les chaussées en béton hydraulique est par ailleurs coûteuse.
[0011] Les techniques déjà étudiées ou utilisées consistent à créer une discontinuité dans
la couche traitées par un liant hydraulique, soit par diminution locale de l'épaisseur
de la couche, soit plus généralement par amorçage de la fissure sur la couche totalement
ou partiellement compactée.
[0012] Une solution qui consiste à créer des amorces de fissures par chocs ou vibrations
sur la couche en cours de durcissement a aussi été envisagée ou appliquée.
[0013] La technique de diminution locale de l'épaisseur de la couche consiste à introduire
à la base ou à la partie supérieure de la couche une discontinuité qui réduira l'épaisseur
du matériau. Diverses solutions ont été utilisées : tasseaux en bois, tubes en caoutchouc,
feuilles de plastiques, etc. Cette technique a les inconvénients suivants : d'une
part, pour être adaptée à la cadence des chantiers routiers, elle nécessite un matériel
spécialisé lourd, elle est donc coûteuse et mal adaptée aux petits chantiers ; d'autre
part, au droit de la fissure créée, on diminue la surface de contact entre les deux
bords de dalle, ce qui nuit au transfert de charge entre deux dalles lors du passage
d'un véhicule et risque d'accélérer la dégradation des fissures par fatigue.
[0014] La technique d'amorçage de la fissure par entaillage en surface est la plus courante
; elle est encore peu utilisée en France, mais plus développée en Allemagne notamment.
Cette technique consiste à entailler la couche mise en oeuvre sur une profondeur
de quelques centimètres par un couteau vibrant, une lame ou une roue vibrante ou par
tout autre moyen.
[0015] Pour être efficace "l'entaillage" de l'assise doit effectivement être réalisé sur
le matériau au moins partiellement compacté. Cette condition entraîne : d'une part
la nécessité de fournir une énergie mécanique importante, ce qui impose un matériel
efficace et se traduit par un coût non négligeable ; d'autre part, le risque d'altérer
l'uni de la couche, l'opération intervenant en fin de mise en oeuvre. Par ailleurs,
en désorganisant le matériau au voisinage de la fissure, la préfissuration risque
de créer une zone faible dont le comportement sous la circulation sera médiocre.
[0016] La technique de fissuration par chocs sur la couche en cours de durcissement amorce
à la fois des fissures transversales et longitudinales ; elle nuit certainement à
la durée de vie de la structure sous l'effet de la circulation. Par ailleurs, la forme
et la localisation exacte des amorces de fissures créées n'étant pas maîtrisable,
cette technique ne permet pas un traitement des fissures avant la mise en oeuvre de
la couche de roulement.
[0017] La présente invention a pour but de proposer un procédé de préfissuration qui ne
présente pas ces inconvénients.
[0018] Ce but est atteint dans le cadre de l'invention par un procédé du type consistant
à introduire une discontinuité à la partie supérieure de la dernière couche répandue,
et se caractérisant en ce qu'on ouvre, à des emplacements choisis, des sillons dans
ladite couche avant son compactage définitif. On projette dans ces sillons un produit
créant ladite discontinuité avec le matériau avoisinant, on referme lesdits sillons
et on procède au compactage de ladite couche.
[0019] L'ouverture du sillon peut être réalisée par des moyens mécaniques appropriés ou
directement par le produit créant la discontinuité émis sous forme de jet liquide
sous haute pression (l'ouverture du sillon et la projection du produit sont alors
simultanées).
[0020] Dans la forme de réalisation préférée de l'invention, on projette un produit formant
un film au contact du matériau du sillon.
[0021] Il convient que le produit soit pulvérisable ; qu'il se fige sur le matériau dès
pulvérisation (sans diffusion dans le matériau, ni écoulement à la base de la couche)
de façon à créer ledit film constituant la discontinuité recherchée ; enfin que le
produit soit compatible avec le bitume (ou autre produit) qui sera utilisé comme liant
pour la couche de roulement et avec les produits utilisés éventuellement pour un traitement
localisé avant mise en oeuvre de la couche de roulement.
[0022] Le produit sera de préférence choisi parmi les liants hydrocarbonés (bitumes, goudrons,
etc.). On peut généralement fluidifier ce produit par chauffage, pour le pulvériser.
La formation du film est due au figeage du produit lors du refroidissement au contact
des matériaux granulaires du sillon.
[0023] Un produit particulièrement avantageux pour la réalisation de l'invention est le
bitume sous forme d'émulsion. En effet, son coût est faible, sa fluidité est suffisante
pour permettre une pulvérisation sans qu'il soit nécessaire de porter le produit à
une température élevée ; il présente une bonne compatibilité avec la couche de roulement
de la chaussée (en générale bitumineuse) et avec les produits éventuellement utilisés
pour un traitement localisé (eux aussi bitumineux) ; le produit est disponible sur
tout chantier de chaussées et les entreprises routières ont l'habitude de l'utiliser.
[0024] L'émulsion de bitume est de préférence cationique, à faible pH (voisin de 3) et
à grande vitesse de rupture. Par sa phase aqueuse à faible pH , elle inhibe partiellement
la prise du liant hydraulique et crée donc une zone de résistance plus faible favorable
à la localisation des fissures de retrait. Par sa phase bitumineuse, elle crée la
discontinuité qui accentue le phénomène et permet une prélocalisation précise de
la fissure. Par ailleurs, la phase bitumineuse rend le matériau, au droit de la fissure,
insensible à l'eau et peu sensible à l'abrasion.
[0025] L'invention s'applique également à la préfissuration des couches réalisées en béton
compacté à faible teneur en eau, mises en oeuvre par des matériels semblables à ceux
utilisés pour la réalisation des couches d'assises, et qui ne demandent pas de couches
de roulement.
[0026] La mise en oeuvre du procédé conforme à l'invention peut se faire à partir d'un véhicule
intégré dans le chantier et circulant dans le sens de l'avancement du chantier, ou
à partir de l'engin de répandage lui-même. Le fait d'intervenir sur un matériau peu
ou pas compacté offre l'avantage de nécessiter une énergie mécanique faible pour l'ouverture
d'un sillon sur toute l'épaisseur de la couche.
[0027] La machine permettant la réalisation industrielle du procédé se compose essentiellement
d'un chariot mobile se déplaçant sur un rail fixé sur un véhicule (tracteur-fourgon-petit
camion). Cet appareil comprend des moyens assurant respectivement trois fonctions
;l'ouverture d'un sillon par un soc de forme adaptée ; la projection de la quantité
d'émulsion de bitume nécessaire (ou autre produit) ; et la fermeture du sillon. Ces
opérations peuvent se faire le véhicule à l'arrêt, ou bien en continu le véhicule
se déplaçant lentement et formant un sillon oblique (si le rail est transversal).
[0028] D'autres caractéristiques et avantages de l'invention ressortiront de la description
ci-après faite en référence aux dessins annexés sur lesquels :
- la figure 1 est une vue perspective schématique de la couche d'assise dans laquelle
est pratiqué le sillon où l'on projette l'émulsion désirée.
- la figure 2 est une vue schématique de dessus représentant les moyens d'ouverture
de sillon, de projection du produit et de fermeture de sillon.
- la figure 3 est une vue schématique de dessus représentant le véhicule de support
des moyens de la figure 2.
[0029] La figure 1 montre la dernière couche d'assise 1, d'une épaisseur comprise généralement
entre 15 et 30 cm, et formée de matériaux traités par des liants hydrauliques. La
granulométrie de ces matériaux est couramment de l'ordre de 0,20 mm, mais comprend
aussi des matériaux à granulométrie moyenne (0,10 mm), voire des sables fins. La couche
1 est destinée à recevoir, après compactage, la couche de roulement.
[0030] Selon l'invention, ou ouvre dans la couche 1 non encore compactée, à des emplacements
choisis (par exemple sous les deux ou trois mètres) des sillons 2. On projette dans
les sillons 2, au moyen d'une buse 3, l'émulsion de bitume 4 sous forme de jet qui
vient en contact avec le matériau du sillon 2 et s'y rompt en créant le film recherché.
Ensuite, on referme ledit sillon 2, et l'on peut procéder au compactage de la couche
1 et à toutes les opérations subséquentes classiques.
[0031] L'émulsion bitumineuse maintenant la discontinuité, l'opération peut être réalisée
sur le matériau simplement régalé et grossièrement règlé. L'effort mécanique nécessaire
à l'ouverture du "sillon" est dans ce cas faible. Les opérations de compactage et
de règlage ne sont pas perturbés et les incidences du procédé sont nulles sur l'uni.
[0032] L'opération ne nécessite pas de gros moyens mécaniques et pertube peu l'avancement
du chantier.
[0033] La quantité d'émulsion de bitume nécessaire pour une épaisseur de grave hydraulique
de 20 cm et un espacement entre préfissure de 3 m est au plus de 0,2 l au m² de chaussée.
[0034] Le coût global du traitement ramené au mètre linéaire de chaussée est donc faible.
[0035] La figure 2 et 3 illustrent schématiquement les moyens essentiels permettant la mise
en oeuvre du procédé. Ces moyens consistent en un soc 5 en V fendant la couche 1 pour
former le sillon 2 ; en une buse de projection ou gicleur 3 distribuant le produit
4 ; et dans deux plaques 7 en V inversé ramenant entre elles le matériau écarté par
le soc 5 de manière à refermer le sillon. La direction d'avancement est représentée
par la flèche 6. Ces trois moyens 5,3,7 peuvent être montés solidaires sur un chariot
8 (fig. 3) monté coulissant (direction 6 et 6ʹ) sur un rail 11 de la largeur de la
voie de circulation (3,5 cm par exemple), porté par un véhicule 9. Le véhicule comporte
une cuve 10 à émulsion calorifugée et une pompe ainsi que des moyens de liaison permettant
d'amener cette émulsion au gicleur 3 assurant la projection. Compte tenu des faibles
quantités de bitume utilisées pour la procédé, la capacité du stockage en émulsion
pourra être limitée à quelques centaines de litres.
[0036] Le gicleur 3 lié au chariot mobile 8 peut être remplacé par une rampe de projection
arrosant simultanément toute la longueur du sillon.
1. Procédé de préfissuration d'assises de chaussées traitées aux liants hydrauliques,
du type consistant à introduire une discontinuité à la partie supérieure de la dernière
couche répandue (1),
caractérisé en ce qu'on ouvre à des emplacements choisis, des sillons (2) dans ladite
couche avant son compactage définitif, on projette dans ces sillons un produit (4)
formant un film par figeage au contact du matériau du sillon, créant ladite discontinuité
avec le matériau avoisinant, on referme lesdits sillons (2) et on procède au compactage
de ladite couche.
2. Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce qu'on projette un liant hydrocarboné.
3. Procédé selon la revendication 2, caractérisé en ce qu'on projette une émulsion
de bitume.
4. Procédé selon la revendication 3, caractérisé en ce qu'on projette une émulsion
de bitume (4) cationique, à faible pH et grande vitesse de rupture.
5. Dispositif pour la mise en oeuvre du procédé selon l'une quelconque des revendications
1 à 4, caractérisé en ce qu'il comporte des moyens (5) pour ouvrir des sillons (2)
dans une couche, des moyens (5) pour projeter un produit dans ces sillons (2), et
des moyens (7) pour refermer lesdits sillons (2).
6. Dispositif selon la revendication 5, caractérisé en ce que lesdits moyens sont
supportés sur un chariot mobile (8) sur un rail (11) fixé sur un véhicule (9).